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Le vocabulaire : une clé de réussite importante pour les élèves du secondaire vivant avec des troubles langagiers

Secondaire

Introduction

Connaissons-nous vraiment les élèves fréquentant nos classes au secondaire? 

Lors d’une rencontre de planification, des collègues font part de quelques informations sur leurs élèves. Au fil des discussions, les portraits de quelques élèves se démarquent : Léa qui répond souvent « J’sais pas … » avant même que la question lui soit posée, Arthur qui s’oppose à toute tâche dès que la consigne « Lisez tel passage ou tel texte… » est prononcée, Yasmine qui déteste les travaux d’équipe ou encore Elijah qui a peur de lever la main, même s’il connait la réponse. 

 

Qu’ont-ils en commun, ces élèves? Une mini-enquête révèle qu’ils ont tous un historique de trouble développemental du langage (TDL ci-après) depuis leur enfance. Bien qu’insoupçonnée, cette découverte n’est pas étonnante. Pour nous aider à reconnaitre les manifestations de ce trouble moins « visible » au secondaire, allons démystifier deux mythes très courants le concernant.   

Mythes sur le TDL

Voici d’abord deux mythes à propos du TDL (trouble développemental du langage).

Le vocabulaire : de quoi parlons-nous?

C'est quoi le vocabulaire ?

Dans le Programme de formation de l’école québécoise en Français, langue d’enseignement aux 1er et 2e cycles du secondaire (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2007; Ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 2006), nous retrouvons les concepts de vocabulaire et de lexique. Or, selon Berthiaume et ses collègues (2020), ce n’est pas tout à fait la même chose. 

  • Le lexique fait référence à l’ensemble des mots d’une langue partagée par ses locuteurs. 
  • Le vocabulaire, quant à lui, fait référence à un sous-ensemble de mots qui est propre à chaque personne. 

Ainsi, l’unité « mot » est au cœur de la présente réflexion. Trois caractéristiques décrivent un mot : son sens, sa forme (sa phonologie, sa morphologie et son orthographe) et son utilisation (Berthiaume et al., 2020). Pour illustrer ces propriétés, prenons l’exemple du mot « porte ». Tout au long du développement langagier, les élèves découvriront que le mot « porte » peut avoir plusieurs significations : « la porte d’entrée » (espace permettant d’entrer dans un lieu), « il porte un enfant dans ses bras » (action de porter) ou encore « il le porte dans son cœur » ou « il porte le monde sur ses épaules » (sens figuré). Les propriétés reliées à la forme des mots sont également essentielles au développement du vocabulaire. 

 

Revenons au mot « porte ». Sa représentation orthographique (porte) découverte dès la 1re année du primaire (Liste orthographique, 2019, p. 37) sera associée à la valeur phonologique de ce mot connu depuis la petite enfance (/p/-/ɔ/-/R/-/t/). Grâce à l’enseignement de l’orthographe, les élèves apprendront que tous les sons sont transcrits par des graphèmes spécifiques auxquels on doit ajouter un graphème muet, le -e final. De plus, les élèves découvriront progressivement, dès le primaire, que ce mot appartient à une même famille morphologique (porte, portail, portier, portière, portillon, etc.). 

 

Par conséquent, la maitrise des différentes significations et des informations relatives à sa forme amènera les élèves à juger de l’utilisation adéquate du mot « porte » selon différents contextes. Par exemple, dans le cas du nom féminin, l’élève sera en mesure de dire qu’on peut ouvrir, fermer, peinturer ou installer une porte, mais qu’on ne peut pas manger ou partager une porte. Il pourra aussi qualifier la porte de basse, haute, ouverte ou close, par exemple, et il saura qu’une porte ne peut pas être sympathique, molle ou généreuse.

 

En somme, pour bien maitriser un mot, les élèves doivent connaitre l’ensemble des aspects le concernant. Or, lors du développement, il est impossible que les élèves maitrisent simultanément des propriétés reliées à la forme, à la signification et à l’utilisation pour chaque mot rencontré. Ses informations se construisent graduellement en se greffant les unes aux autres. Par exemple, un élève peut connaitre la forme orale d’un mot en y associant un sens. Avec le temps, il y greffera son orthographe et, parfois, d’autres sens, puis il arrivera à l’utiliser à bon escient dans différents contextes. Cela nous amène à définir deux derniers concepts essentiels à l’apprentissage du vocabulaire : l’étendue et la profondeur

  • L’étendue du vocabulaire fait référence au nombre de mots connus par l’individu, peu importe le degré de précision des connaissances liées à chaque mot.
  • La profondeur porte sur le degré de connaissance des diverses dimensions caractérisant un mot donné (Berthiaume et al., 2020).

Les deux concepts sont également importants. L’étendue du vocabulaire est particulièrement importante en début de scolarisation, mais ce serait la profondeur du vocabulaire qui serait davantage corrélée à l’expertise en lecture/écriture. Ainsi, les démarches de planification-enseignement du vocabulaire devraient viser la profondeur et l’étendue du vocabulaire dans des proportions variables en fonction des besoins des élèves et de leur niveau de développement langagier.

Le vocabulaire : est-ce vraiment essentiel et pourquoi?

Pour mieux comprendre à quoi sert le vocabulaire, nous ferons appel à quelques exemples, issus du Programme de formation de l’école québécoise au secondaire. Par exemple, dans la compétence Écrire des textes variés (MELS, 2007; MEQ, 2006), il est explicitement indiqué que les élèves doivent utiliser un vocabulaire « précis », « juste », « spécifique », qui respecte le contexte d’utilisation et qui convient à la situation, au genre et au sujet. Aussi, en compréhension de textes écrits, bien que le programme ne prévoie pas formellement des stratégies relatives au vocabulaire, il est sous-entendu que les élèves sollicitent leur vocabulaire pour aborder les textes écrits dans différentes matières. 

 

Rappelons aussi que la lecture fréquente d’une diversité de textes a un effet d’entrainement sur le vocabulaire qui deviendra de plus en plus riche (Berthiaume et al., 2020). Fait intéressant, selon les attentes relatives à la compétence transversale Communiquer de façon appropriée, au 1er cycle du secondaire, les élèves apprennent « […] à mieux maîtriser et à exploiter les ressources de la langue orale ou écrite en portant attention au vocabulaire et aux caractéristiques propres aux langages spécialisés dont elle est le véhicule : langage mathématique, scientifique, informatique, etc. » (2006, p. 53). 

 

Enfin, de façon indirecte et dans toutes les matières scolaires, le développement du vocabulaire contribue à enrichir les connaissances sur le monde et sur des sujets qui passionnent les élèves au secondaire, leur ouvrant ainsi des horizons vers des professions qu’ils exerceront un jour. 

 

Ces exemples indiquent l’importance d’accorder au vocabulaire une place de choix dans la démarche de planification-enseignement-évaluation et soulignent la nécessité d’envisager une approche multidimensionnelle et collaborative de son développement. Cette posture pédagogique se place en cohérence avec les travaux théoriques et didactiques actuels qui préconisent le développement de la profondeur du vocabulaire en permettant aux élèves de maitriser les trois caractéristiques des mots qu’ils rencontrent (sens, forme et utilisation) (Berthiaume et al., 2020). 

 

Si la plupart des élèves développent un vocabulaire suffisant pour assurer leur réussite dans différentes matières, pour certains d’entre eux, et notamment pour les élèves vivant avec un TDL, ce n’est pas le cas. Ces derniers sont reconnus comme ayant un vocabulaire plus limité en comparaison avec des pairs du même âge. Cet écart, présent depuis la petite enfance, semble se maintenir et même s’accentuer au secondaire (Rice et Hoffman, 2015). 

 

Concrètement, ces élèves présenteraient des difficultés à comprendre la signification des mots lors de la lecture de textes. Aussi, leur faible vocabulaire les contraindrait à produire des textes écrits plus courts, contenant des mots répétitifs, imprécis et même erronés. Enfin, un faible vocabulaire amène à  des fragilités sociocommunicationnelles se manifestant par :

  1. des difficultés à accéder aux mots;
  2. des communications abandonnées;
  3. un non-respect du sujet de conversation;
  4. des refus de participer aux discussions, etc. (Rice et Hoffman, 2015). 

Vécues fréquemment et ayant des répercussions néfastes sur le développement socioaffectif, ces situations peuvent limiter considérablement l’engagement et la motivation scolaire. Par ailleurs, ces différentes difficultés expliqueraient les comportements de Léa, Arthur, Yasmine et Elijah, les élèves présentés en introduction. 

Quoi faire pour soutenir le développement du vocabulaire des élèves ayant un TDL?

Rappelons qu’idéalement, les élèves devront maitriser les trois dimensions du vocabulaire : le sens, la forme et l’utilisation (Berthiaume et al., 2020). Pour ce faire, un enseignement hautement planifié, systématique et fréquent est préconisé. Si la mise en place d’une telle démarche apportera sans doute certains défis de concertation et de planification dans un contexte d’enseignement au secondaire, il est démontré que ce type d’approche semble avoir fait ses preuves auprès des élèves vivant avec un TDL (Maillart, 2018). Quelques pistes d’intervention permettant d’aborder l’étendue et la profondeur du vocabulaire sont proposées selon les trois moments clés de la démarche de planification-enseignement-évaluation (voir Berthiaume et al., 2020 pour d’autres idées d’intervention). 

Ce que nous avons découvert et ce qu’il nous reste à découvrir et à faire…

Comment le vocabulaire influence la réussite des élèves

Posséder des connaissances riches dans le domaine du vocabulaire favoriserait la réussite dans différentes matières scolaires et assurerait une meilleure réussite socioprofessionnelle aux élèves du secondaire, aux portes de l’insertion à la vie active. Or, une grande majorité des élèves du secondaire vivant avec un TDL présentent des fragilités dans le domaine du vocabulaire. Ainsi, utiliser au quotidien des pratiques pédagogiques innovantes, efficaces et inclusives visant le développement du vocabulaire revêt une importance cruciale pour la réussite éducative de ces apprenants vulnérables. Cependant, le fonctionnement du secondaire (variété des horaires, nombre d’élèves, etc.) impose un défi de taille : celui de reconnaitre rapidement les difficultés langagières chez ces apprenants, qui peuvent être moins perceptibles avec le temps. 


Cela souligne l’importance de mettre en place des pratiques collaboratives lors du passage primaire-secondaire afin de favoriser la transmission des informations essentielles sur le fonctionnement langagier des élèves vivant avec un TDL. Cette collaboration pourrait être garante d’une prise en charge plus rapide et répondant, avec justesse, aux besoins éducatifs de ces apprenants à risque, y compris dans le domaine du développement du vocabulaire.

Pour aller plus loin

À consulter
À lire

Dumais, C. (2017). Stratégies pour développer la compétence à communiquer oralement des élèves plurilingues... et de tous les autres! Vivre le primaire, 30(3), 58-61.

Références bibliographiques ou sources citées
  • Berthiaume, R., Anctil, D., Bourcier, A., Brossard, S., Luquette, M. et Daigle, D. (2020). Le vocabulaire pour mieux lire et écrire. Chenelière Éducation, 288 p. 
  • Botting, N. (2020). Language, literacy and cognitive skills of young adults with developmental language disorder (DLD). International Journal of Language and Communication Disorders, 55 (2), 255-265. 
  • Daigle, D. et Berthiaume, R. (2021). L’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Chenelière Éducation, 312 p.
  • Livingston, L.A. et Happé, F. (2017). Conceptualising compensation in neurodevelopmental disorders: Reflections from autism spectrum disorder. Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 80, 729-742.
  • Maillart, C. (2018). L’apprentissage du langage chez les enfants présentant un trouble développemental du langage (TDL). Dans A., Roy, B., Guillery-Girard, G., Aubin, et C., Mayor (dir.), Neuropsychologie de l’enfant. Approches cliniques, modélisations théoriques et méthodes (p. 68-81). De Boeck Supérieur.
  • Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2007). Programme de formation de l’école québécoise. Français, langue d’enseignement, 1er cycle du secondaire. Gouvernement du Québec. 
  • Ministère de l’Éducation du Québec (2006). Programme de formation de l’école québécoise. Français, langue d’enseignement, 2e cycle du secondaire. Gouvernement du Québec. 
  • Rice, M. L. et Hoffman, L. (2015). Predicting vocabulary growth in children with and without specific language impairment: a longitudinal study from 2;6 to 21 years of age. Journal of Speech, Language and Hearing Research, 58(2), 345-59. 
  • Ordre des orthophonistes et audiologistes du Québec (OOAQ). (2021). Le trouble développement du langage (TDL) : Le trouble développemental du langage (TDL). https://www.ooaq.qc.ca/media/vcxmulnb/brochure-trouble-developpemental-langage-tdl_vw2.pdf 

Les auteurs

 

Oxana LEONTI, chargée de cours, Université de Montréal

Oxana Leonti détient un doctorat en éducation de l’Université de Montréal et est chargée de cours à la même université. Ses réflexions portent essentiellement sur la réussite éducative des élèves ayant des troubles langagiers. Madame Leonti s’intéresse, entre autres, aux pratiques pédagogiques orientées sur le soutien à l’apprentissage de la langue écrite et au développement des habiletés communicationnelles chez ces apprenants. 

 

Daniel DAIGLE, professeur, Université de Montréal

Daniel Daigle est professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. Il détient un doctorat en éducation (didactique) de l’Université de Montréal et un postdoctorat en psycholinguistique de l’Université de Strasbourg. Il est aussi titulaire d’un baccalauréat en enseignement du français langue seconde et d’une maitrise en didactique des langues de l’Université du Québec à Montréal. Il a enseigné le français pendant une quinzaine d’années avant d’occuper un poste à l’Université de Montréal. Ses recherches actuelles concernent l’apprentissage de la lecture et de l’écriture du français écrit et des difficultés qui y sont associées.

 

Rachel BERTHIAUME, professeure, Université de Montréal

Rachel Berthiaume est professeure au département de didactique de l’Université de Montréal depuis le 1er juin 2009. Elle est titulaire d’un baccalauréat en sciences du langage, d’une maitrise en didactique ainsi que d’un doctorat en linguistique appliquée. À son avis, la recherche en didactique est un apport important à l’évolution de toute communauté et doit s’ancrer, dans la mesure du possible, dans des problématiques sociales pour contribuer au mieux-être des personnes et des systèmes dans lesquels ces personnes évoluent. C’est dans ce contexte que madame Berthiaume perçoit ses activités de recherche, qui portent principalement sur les processus associés à la reconnaissance et à la production de mots ainsi qu’à la compréhension en lecture chez les élèves aux prises avec des difficultés d’apprentissage.

 

Christian DUMAIS, professeur, Université du Québec à Trois-Rivières

Christian Dumais est professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières depuis 2014. Il détient un doctorat en sciences de l’éducation spécialisé en didactique de l’oral et une maitrise en linguistique, profil didactique du français. Il a été enseignant au primaire et au secondaire à la suite de l’obtention de son baccalauréat en enseignement du français au secondaire. Passionné par la didactique du français, il s’intéresse à l’enseignement et à l’évaluation de l’oral à tous les ordres d’enseignement ainsi qu’au développement de la compétence à communiquer oralement des futurs enseignants et du personnel scolaire. Il s’intéresse également au jeu symbolique et au développement du langage des enfants de 4 et 5 ans.

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