S'informer
L'espace prof
Articles

Comment et pourquoi évaluer à l’oral en contextes de lecture-écriture?

Primaire
Secondaire

Introduction

Quand on parle de pédagogie inclusive, on parle souvent de varier nos dispositifs d’enseignements, nos traces, nos observations… L’apport de la modalité orale est très riche et peut donc s’avérer utile en ce sens. Cet article résume les propos d’un panel de discussion « L’utilisation de l’oral dans des contextes d’apprentissage et d’évaluation de la lecture-écriture » qui a eu lieu lors du 49e congrès de l’Institut TA réunissant les 3 experts suivants :

Ces personnes ont pu nous éclairer et répondre aux questions suivantes : pourquoi utiliser l’oral dans des contextes d’enseignement et d’évaluation de la lecture-écriture? Comment l’utiliser? Jusqu’où peut-on aller?

Pourquoi devrait-on utiliser l’oral en contexte d’apprentissage et d’évaluation?

Pour les élèves ayant des difficultés, l’oral peut permettre de démontrer leur compréhension, notamment d’un texte, d’une façon différente. Cela enlève certaines embûches liées à la lecture ou l’écriture et permet donc d’être cohérent avec ce que l’enseignante souhaite réellement évaluer. Nous constatons souvent que, dans les milieux scolaires, l’enseignant.e souhaite évaluer la réaction de ses élèves face à une lecture, mais passe généralement par une modalité écrite. Est-il encore en train d’évaluer la réaction? En effet, l’élève en difficulté pourrait être freiné par la charge cognitive qu’apporte l’écriture dans cette modalité (geste moteur, formulation de l’idée, syntaxe, choix des mots, orthographe d’usage, accords, etc.) et l’on perd un peu la logique entre ce qu’on souhaite évaluer et la manière dont on le fait. Dans ce cas, l’oral peut être un levier pour l’enseignante.

Chaque fois qu’un dispositif amène l’élève à discuter avec ses pairs ou avec l’enseignante, il approfondit sa compréhension et développe sa compétence. Il démontre également cette dernière autrement que par une modalité écrite. On oublie parfois d’utiliser l’oral en évaluation, car on se demande si c’est valable que nos élèves apprennent et soient évalués lors de discussions. Pourtant, ça l’est! Réfléchissons-y ensemble.

Avant tout : l’évaluation… une question de posture!

On parle beaucoup de l’évaluation comme si c’était la finalité. Ça ne devrait pas l’être! La finalité, ce sont les apprentissages réalisés par l’élève. Il est essentiel d’avoir une posture qui perçoit l’évaluation comme pouvant nous permettre d’en apprendre plus sur nos élèves pour ensuite réajuster notre façon d’enseigner, ce qui nous permet d’offrir de la rétroaction fréquemment. Donc, que ce soit une évaluation à l’oral ou une évaluation à l’écrit, gardons en tête qu’on veut que nos élèves progressent, parce que c’est ça notre objectif : qu’ils fassent des apprentissages! Permettons-nous d’utiliser la modalité qui est la plus propice pour que l’élève puisse démontrer sa compétence.

Toutefois, c’est vraiment la variété et l’équilibre entre les dispositifs que nous utiliserons qui vont permettre à chacun de nos élèves de faire état de leurs apprentissages. Alors, oui, utilisons l’oral… mais pas au détriment des autres modalités. Il faut savoir doser!

En évaluation, il y a plusieurs portes d'entrée :

Également, utiliser les mêmes dispositifs chaque fois avec tous les enfants n’est pas obligatoire. Par exemple, vous pourriez avoir besoin de faire un entretien individuel ou en sous-groupe avec un ou quelques élèves seulement pour qui vous vous posez des questions.

Plus spécifiquement, en lecture, pourquoi utiliser l’oral?

À l’origine, la lecture était d’abord et avant tout une pratique orale qu’uniquement certaines personnes maîtrisaient. La compréhension était orale, comme l’interprétation de ladite lecture, les réactions ainsi que la formulation des jugements. La lecture était donc une pratique sociale. Encore aujourd’hui, on lit pour en discuter. Rappelons-le-nous… et à nos élèves aussi. Avant même d’aborder l’aspect inclusif de l’oral en lecture, son aspect authentique et engageant est non négligeable. 

Quand on pense à la lecture, notamment aux pratiques évaluatives, on sait qu’en contexte scolaire, la lecture se passe dans la tête des jeunes. Ils lisent en silence et l’enseignant.e essaie d’observer ce qui se passe. Évidemment, sans avoir accès à la boîte noire qu’est leur cerveau! La lecture, ne laissant pas de traces visibles, nécessite de passer par un autre canal, oral ou écrit. L’écrit pouvant être du dessin, des cartes conceptuelles… pas nécessairement un texte suivi! Il y a un juste équilibre à avoir entre les différentes modalités. 

Quand on pense à des élèves qui ont des difficultés ou des troubles d’apprentissage, les mettre en valeur comme lecteur et lectrice est important. Il faut vraiment multiplier les portes d’entrée vers leur boîte noire, et l’oral peut être une option.

Attention! L’oral peut enlever des obstacles ou des freins pour plusieurs, mais pour d’autres élèves, cela peut en ajouter. Pensons à un élève très timide, préférant rendre compte de sa lecture à l’écrit, tranquille dans son petit coin.

Plus spécifiquement, en écriture, pourquoi utiliser l’oral?

Souvent, on évalue la production finale des enfants, mais il faut aussi évaluer le processus et le chemin que l’élève emprunte pour produire un texte. On peut s’intéresser à la façon dont le jeune planifie l’écriture d’un texte. Parfois, les enseignants vont donner de la rétroaction orale ou écrite aux enfants sur le produit final, mais si le processus est déjà problématique, on n’évalue pas pour l’apprentissage. Par exemple : 

  • Si l’enfant avait raconté à l’oral ce qu’il ou elle avait l’intention d’écrire lors de l’étape de la planification et que l’enseignante lui avait donné une rétroaction sur la cohérence ou l’incohérence des idées produites, on l’évalue pour l’apprentissage.

  • Dans un même ordre d’idées, l’enseignante pourrait être au tableau en train d’écrire ce que les enfants lui disent à l’oral. Tout ça permet d’apprendre à planifier, à mettre en texte et à réviser. Quand on demande aux élèves de se réviser, les jeunes retournent à leur place et ne savent pas toujours quoi faire. Leur donner le soutien des pairs pendant l’apprentissage, mais aussi pendant l’évaluation afin d’apporter des modifications dans leur texte est une façon très inclusive d’intervenir et d’évaluer pour l’apprentissage.

Finalement, revenons à l’authenticité dans la démarche d’écriture. À chaque nouveau projet, l’auteur en parle avec quelqu’un. Avant même de commencer à écrire, il y a partage d’idées, réception d’une rétroaction de l’entourage. Même en étant auteur de profession, le besoin de planification avec autrui à ce moment-là est important. Même quand une page est écrite, le besoin de la lire à quelqu’un pour lui demander une rétroaction, des suggestions ou une validation peut se faire sentir. Nos élèves devraient aussi avoir cette possibilité.

Quels dispositifs peut-on utiliser en classe pour mettre de l’avant l’utilisation de l’oral?

Tous les dispositifs servent à l’apprentissage. C’est ensuite à l’enseignante de se demander comment l’utiliser pour évaluer les élèves. En voici quelques-uns : 

1. L'entretien de lecture

À noter que, pour plusieurs élèves, il sera plus difficile de faire un entretien à l’oral, car il y a un manque de recul pour réfléchir à l’œuvre lue. Il faut demeurer à l’écoute des besoins de nos élèves : on ne peut pas y aller avec une réponse unique, sans s’ajuster. 

De plus, dans le cadre d’un entretien, quand un enfant fait une lecture oralisée, il est prouvé qu’il retient moins bien les détails que si c’était une lecture silencieuse. Par désir de bien lire à haute voix, son énergie est mise sur la prosodie. Donc, on veut soutenir l’élève en difficulté en l’évaluant par un entretien, mais les modalités ne sont peut-être pas nécessairement toujours adéquates… On pourrait permettre à un enfant de faire une première lecture silencieuse, puis de faire une lecture à voix haute, si on veut évaluer sa fluidité de manière formative.

2. La lecture interactive par l’enseignante (évaluer la compréhension à l’oral)

La compréhension orale et la compréhension en lecture font appel aux mêmes processus. La seule différence, c’est qu’en retirant la charge cognitive associée au décodage des phrases, on retire possiblement une difficulté à l’élève. Toutefois, même si on ne peut pas détecter des méprises liées à la lecture du texte, cela ne nous empêche pas de voir si l’élève comprend l’histoire, peut l’interpréter et y réagir.

Le cadre d’évaluation guide et structure nos interventions en mettant l’accent sur la compréhension, l’interprétation, la réaction et le jugement critique. Toutefois, il ne stipule pas que l’élève doit toujours lire seul.e, comme un roman de 400 pages, par exemple. De plus, la progression des apprentissages donne du temps aux élèves pour apprendre. Bien connaître le programme va éviter des dérives. En fin de compte, les stratégies d’écriture à développer et évaluer dans le PFEQ incluent la sollicitation d’aide pour la planification et la révision. L’objectif ultime est de faire progresser nos élèves afin de devenir plus à l’aise en écriture.

Nous devons trouver le juste équilibre entre développer des compétences et des appétences en lecture. Si cet équilibre se brise, le goût de lire peut dégringoler à grande vitesse. Dans ce cas, même si le jeune devient plus compétent en lecture, il n’a parfois plus le goût de lire. Rappelons-nous qu’évaluer, c’est donner de la valeur à certains apprentissages, mais surtout : mettre en valeur les personnes qui lisent. Comme enseignante, comment est-ce que je peux les mettre en valeur? Évaluer une dimension de la lecture par la lecture interactive oralisée est une manière, parmi plusieurs, d’évaluer tout en nourrissant l’appétit de la lecture.

3. Les cercles de lecteurs et lectrices

4. Les cercles de lecture

Les discussions autour de la lecture d’une œuvre commune peuvent favoriser la coconstruction de sens et la compréhension.

Lire l'article complet

5. Les cercles d'auteurs

Les cercles d’auteurs permettent d’avoir des modèles réalistes. Quand on a accès à une production finale tirée d’un album, la syntaxe est impeccable : il y a des rimes, des effets et du style! On peut l’apprécier, mais comment les auteurs ont fait? Nous l’ignorons, alors que dans ces cercles, nous sommes témoins de la façon dont les idées se construisent, comment rebondir sur les idées des autres pour les améliorer et les bonifier.

D’accord, l’oral… mais jusqu’où peut-on aller en écriture?

Quand les élèves discutent entre eux dans le cadre d’un cercle d’auteurs, plusieurs enseignants pourraient avoir tendance à se demander si l’entraide est trop présente.

Dans le cercle d’auteurs, si l’on prend l’étape de la révision lorsque les élèves se donnent des rétroactions, il est important de se rappeler que les jeunes sont toujours maîtres de leur texte. Ce sont eux qui l’ont écrit. Finalement, si quelqu’un nous dit ne pas comprendre la fin de notre histoire, ou qu’elle est un peu trop abrupte, nous avons quelque chose à faire après avoir reçu la rétroaction. Le travail n’est pas terminé! Il y a seulement eu un retour sur notre texte à l’oral. La suite nous appartient. Ce serait la même chose pour les étapes de planification, de révision et de correction. 

Par exemple, lors de la correction de leurs textes, si un élève indique à un autre qu’il y a une erreur quelque part, cela déclenchera une discussion pour justifier cette correction en s’appuyant sur des éléments grammaticaux ou des règles orthographiques. Ensuite, c’est l’élève qui est responsable de faire la modification. Dans le cadre de ces cercles, les élèves progressent et, avec le temps, leurs textes s’améliorent considérablement en qualité. Ces textes deviennent plus longs, plus riches, plus captivants et contiennent nettement moins d’erreurs.

D’accord, l’oral… mais jusqu’où peut-on aller en lecture?

Dans un club ou un cercle de lecture, quelques personnes se rencontrent un vendredi soir dans une bibliothèque pour parler du livre lu récemment. Devrions-nous les empêcher d’échanger à l’oral sur leur lecture? Il est important de se questionner, particulièrement en matière d’évaluation : les activités scolaires contribuent-elles à enrichir l’individu et le citoyen que nous souhaitons former? Est-ce qu’elles encouragent le plaisir de lire, d’écrire, et de communiquer oralement au-delà du cadre scolaire? Présentement, les enquêtes montrent que l’école peut nuire au plaisir associé à la lecture, à l’écriture et même à la communication orale. Il se pourrait que les pratiques scolaires ne soient pas toujours authentiques ou inclusives, surtout si l’on empêche les élèves de discuter de la planification de leurs écrits, comme les professionnels, ou de choisir et discuter de leurs lectures (une pratique courante dans la vie quotidienne).

Conclusion

Tout dispositif d’évaluation devrait aussi servir les apprentissages et l’enseignement. Sinon, à quoi bon? Toutefois, l’inverse est également vrai, les dispositifs d’apprentissage devraient servir l’évaluation. Il ne serait pas cohérent de soumettre nos élèves à un questionnaire de compréhension écrite individuel le vendredi matin, durant 30 minutes, si nos activités d’apprentissage tout au long de la semaine sont diversifiées et inclusives, comme les lectures interactives, les cercles de lecture, les entretiens, et la lecture feuilleton. Il manque parfois un certain alignement entre l’enseignement et l’évaluation. Dans ce cas, utiliser un questionnaire de compréhension écrite individuel pour l’évaluation peut s’avérer être une pratique artificielle et strictement scolaire.

Nous vous invitons donc à parler de preuves d’apprentissage et à délaisser le terme évaluation. Il est bien plus encourageant de demander aux élèves de « montrer la preuve de leur apprentissage » versus « je t’évalue et je mets une sanction ». Plutôt que de se demander si un dispositif oral peut servir à l’évaluation, il serait plus constructif de réfléchir à sa capacité d’aider l’élève à démontrer ses compétences. Utiliser des interventions orales et poser des questions oralement à un ou plusieurs élèves représente un changement de posture qui peut véritablement soutenir les jeunes, tout en s’inscrivant dans une approche inclusive de l’évaluation.

Pour aller plus loin

À consulter

Les cercles d’auteurs 

Cercles de lecteurs : Projet LIBER

Références bibliographiques ou sources citées

Lépine, M., Soucy, E. & Turgeon, E. (2024) L’utilisation de l’oral dans des contextes d’apprentissage et d’évaluation de la lecture-écriture (Panel de discussion) 49e Congrès de l’Institut des troubles d’apprentissage, Montréal. [En ligne]

Marie-Philippe Goyer
Orthopédagogue à l'Institut des troubles d'apprentissage

Un peu plus sur l'autrice

Détentrice d’un baccalauréat en adaptation scolaire et sociale, Marie-Philippe a travaillé en classes spécialisées ainsi qu’en orthopédagogie en milieux scolaires et privés. Présentement gestionnaire et créatrice de contenus à l’Institut des troubles d’apprentissage du Québec, elle satisfait sa curiosité professionnelle en collaborant avec des experts et pédagogues passionnés. Consultante pour l’entreprise ALEO VR, Marie-Philippe conçoit des jeux visant à rééduquer les troubles spécifiques en lecture grâce à la réalité virtuelle. Elle a également fondé l’entreprise ScolAide qui vise à outiller le plus grand nombre d’enseignants et d’élèves en difficulté par le biais de conférences, consultations, capsules vidéos et documentation en ligne. Passionnée de littérature jeunesse et récipiendaire du prix Étincelle de reconnaissance en lecture du MEES, elle a complété un microprogramme en didactique cognitive des difficultés d’apprentissage de la lecture-écriture à l’UQAM et collabore au blogue J’enseigne avec la littérature jeunesse.

Merci à notre précieux partenaire